Le DSM-5, une maladie de société
Le 22 mai dernier marquait le premier anniversaire de la sortie de la 5e édition du Diagnostical and Statistical Manual communément nommé DSM-5. Le dernier joyau de l’American psychiatric Association nous a été proposé sur un fond de controverse laquelle perdure à ce jour. Analyse et perspectives.
Le DSM permet de développer un langage commun entre les divers cliniciens voulant offrir de l’aide à autant de personnes en souffrance. Cependant, puisque la médecine psychiatrique ne se fonde aucunement sur des marqueurs biologiques, le contenu de ce manuel n’est que pure construction consensuelle. La psychiatrie moderne trouve pourtant ses lettres de noblesses à travers cet outil fort prisé. Nous avons ainsi assisté, d’édition en édition, à une augmentation significative du nombre de diagnostics (passant de 60 à près de 350 à ce jour). Sous l’égide de la prévention, de la sécurité, mais surtout du contrôle social, cette nouvelle hausse porte en elle les risques de surdiagnostics et de diagnostics erronés. Ces risques ne sont pas sans conséquence. Premièrement, ils peuvent avoir des conséquences directes sur la santé physique des personnes, toute médication psychotrope ayant des effets secondaires, parfois importants et irréversibles. Deuxièmement, il ne faut jamais sous-estimer les difficultés de se défaire de tels diagnostics, car ils vous marquent bien souvent au fer rouge pour la vie. Finalement, de nouveaux enjeux touchent maintenant à la jeunesse qui se trouve plus que jamais sous la loupe des spécialistes.
Qui plus est, certains psychiatres et psychologues critiquent cette édition en évoquant le flou de certains critères issus de cet ouvrage et les qualifient comme trop larges, ce qui conduirait à une inflation de diagnostics. De plus, cette 5e édition se distingue aussi par une nouvelle approche dimensionnelle. Autrement dit, elle suggère une évaluation de l’intensité des symptômes présentés. Les perspectives sont maintenant décuplées! Au final, c’est tout l’univers du normal et du pathologique qui vient de se dissoudre à travers ce magma informe au point de se poser la question : qui peut être normal ?
On reproche aussi au DSM-5 de psychiatriser des réactions psychologiques tout à fait normales (par exemple le deuil et la timidité). À ces nouveaux diagnostics… de nouveaux traitements! Les détracteurs du DSM ont depuis longtemps démontré les liens entre les compagnies pharmaceutiques et les quelque 140 individus ayant participé à l’élaboration de ce dernier manuel. Le DSM, qui est le Graal de ces entreprises, en profite largement et son pouvoir est sans équivoque, car il est non seulement l’outil de référence par excellence des médecins, mais aussi celui des assureurs, des écoles et des autorités étatiques.
Ainsi, à l’instar de cet énorme pouvoir référentiel, le DSM arrive à nous faire prendre les moyens pour des fins et vice-versa ; à dégager de nouveaux symptômes afin d’y accoler de nouveaux diagnostics. Mais ne vous méprenez pas, le traitement pharmacologique n’est jamais bien loin ! À nouveau, on mélange tout et l’on psychiatrise tout. Le plan d’affaires est pourtant clair et net…
Troisièmement, il faut nous poser des questions sur l’apport d’un tel livre puisqu’il nous renvoie une image extrêmement négative de l’humanité en y accolant une image de cet « être humain moyen », que l’on peut décrire comme sans vie, sans culture et sans histoire. C’est l’être humain de la statistique. Un être imaginaire, un « cas de figure » qui traduit une vision normalisée, aseptisée, sans emprise sur le réel. On médicalise ainsi les problèmes de notre société. De cette société, malade de ses valeurs, imbibée des termes psychologiques et elle-même de moins en moins tolérante à la différence. La nouvelle norme est celle du « tout pathogène » qui évacue les possibilités d’épanouissement. Le Conseil médical du Canada et d’autres ordres professionnels sont depuis en plein travail afin de favoriser la transition entre les versions IV et 5 de ce manuel. Dans ce nouveau monde totalitaire, il n’est pas étrange de voir autant s’arrimer des intérêts publics à celles des corporations professionnelles et privées…
Pour l’avenir de notre société et celui de notre mieux-être, nous aurons à veiller aux effets possibles de la création de ces nouvelles catégories/diagnostics issus du DSM-5. Nous aurons aussi à mettre en évidence l’évolution sociale qui s’opère depuis déjà quelques années en Occident et comment cet ouvrage influencera notre perception de la santé mentale. Afin de résumer ce propos et ce texte, nous vous proposons deux citations de Roland Gori (psychiatre et psychanalyste).
« Le DSM est le symptôme d’une maladie de société, d’une manière de gouverner qui ne repose plus sur l’autorité des grands récits religieux ou idéologiques mais sur la pression normative. Il s’agit de fabriquer les discours de légitimation d’un contrôle social, au nom de la raison technique et de l’objectivité scientifique »1.
« Il faut remettre la parole au centre. On est passé d’un savoir narratif à un savoir probabilistique, qui transforme le psychiatre ou le psychologue en une agence de notation des comportements. Pour inverser cette tendance, il faut revenir à la souffrance singulière du patient. Revenir au récit, recontextualiser le trouble et le symptôme »2.
1 & 2 : Lucia Sillig, Petit tour du monde du normal et du pathologique, LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 13.05.2013 Article en ligne
Doris Provencher, directrice générale de l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec
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David-Alexandre Grisé, conseiller Collectif de défense des droits de la Montérégie