[Lettre d’opinion] Plan d’action interministériel en santé mentale : les droits des personnes sont les grands absents
Nous avons la mauvaise habitude de voir les droits des personnes vivant un problème de santé mentale être bafoués, moins de voir la question des droits complètement absente des débats.
C’est malheureusement chose faite dans le Plan d’action interministériel en santé mentale (PAISM) 2022-2026 qui a été présenté, le 25 janvier, par le Ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux (MSSS), le Dr Lionel Carmant. Une feuille de route qui pilotera l’action du réseau de la santé pendant les cinq prochaines années sur les enjeux -d’autant plus d’actualité- de santé mentale.
Ce Plan d’action était très attendu par les organismes communautaires, et notamment par l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ). Nous espérions que le respect des droits des personnes serait réaffirmé par le Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), et pourrait aider à améliorer les pratiques actuelles.
Force est de constater que les droits des personnes vivant un problème de santé mentale sont les grands absents, et de nombreux reculs en la matière sont malheureusement à enregistrer.
Il y a certes des avancées encourageantes contenues dans le PAISM 2022-2026. À ce titre, nous pouvons nommer les mesures suivantes :
→ un investissement global de 1,1 milliards de dollars sur cinq ans en faveur de la santé mentale, dont 75 millions de dollars récurrents pour le financement de la mission des organismes communautaires.
→ la prise de position du MSSS pour le développement et le soutien financier de la parole collective des personnes utilisatrices de services, ainsi que du travail mené par ReprésentACTION santé mentale Québec et l’AGIDD-SMQ dans ce domaine.
→ la volonté de mettre en place des centres de crise en Estrie et au Saguenay-Lac-Saint-Jean, deux régions qui en étaient dépourvues jusqu’à maintenant.
→ la volonté de consolider les pratiques mixtes d’interventions psychosociales et policières de proximité.
Cependant, toutes ces bonnes propositions n’effacent pas les nombreuses absences et zones d’ombres de ce plan d’action. Plusieurs mesures proposées inquiètent particulièrement l’AGIDD-SMQ :
→ l’absence de la notion du respect des droits : en plus d’être à peu près inexistante, la question des droits -lorsqu’elle est mentionnée- est associée avec la dangerosité et les mesures exceptionnelles, pratiques qui contreviennent aux droits fondamentaux. Cette vision concoure à
alimenter la stigmatisation à l’encontre des personnes vivant un problème de santé mentale, contre laquelle nous nous battons.
De plus, ce document gouvernemental ne fait pas la promotion des droits, mais uniquement celle de la santé mentale, tout en nous proposant des mesures qui ne viennent que renforcer le contrôle que le système psychiatrique exerce sur les personnes.
→ l’absence de regard critique sur les dysfonctionnements internes au système psychiatrique alors que ces pratiques sont à l’origine de maltraitances et d’abus récurrents dénoncés depuis plus de 30 ans par l’AGIDD-SMQ et ses groupes membres.
→ les « alternatives » aux hospitalisations en psychiatrie, ou l’hospitalisation à la maison : il ne s’agit pas d’alternatives pour les personnes vivant un problème de santé mentale, mais d’une alternative pour délester les hôpitaux tout en faisant peser de grandes responsabilités sur les proches des personnes concernées. Comment une personne pourra-t-elle exercer ses droits dans un tel contexte ? Cela est très inquiétant.
Malgré tous les exemples de consultation que met de l’avant le MSSS, l’AGIDD-SMQ a le sentiment de ne pas avoir été consultée pour construire ce plan d’action. Ce manque de dialogue et d’information s’illustre par le mauvais traitement réservé à la question des droits et libertés des personnes vivant ou ayant vécu un problème de santé mentale.
Nous aurions apprécié que le MSSS fasse sienne la réflexion du Dr. Dainius Puras, psychiatre lituanien et Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de chacun de jouir du meilleur état de santé physique et mental possible de 2014 à 2020 : « Je suis convaincu que l’avenir moral et scientifique de la psychiatrie dépend de la prise de valeurs aussi au sérieux que les preuves scientifiques, et cet avenir peut être prometteur si les droits humains sont pleinement respectés. »
Nous sommes persuadés que le MSSS a perdu une très bonne occasion d’engager un changement de pratiques. L’AGIDD-SMQ regrette également l’absence de véritables alternatives pour régler les difficultés structurelles, sources de nombreuses maltraitances au sein de réseau de la santé et des services sociaux. Pour l’AGIDD-SMQ, c’est un rendez-vous manqué.
Claude Moreau, président de l’AGIDD-SMQ
Doris Provencher, directrice générale de l’AGIDD-SMQ