Santé mentale des ados: au-delà de la pilule, la psychothérapie

Opinion Huffington Post

«Des fois, c’est con là, mais j’ai l’impression que ce qui me fait le plus de bien, c’est quand on a rendez-vous et que je viens vous parler», confesse Jonathan à sa psychiatre. Et cette dernière de répliquer «Oui, mais moi, je suis psychiatre, pas psychologue!»

Ce dialogue est issu de saynètes réalisées par des jeunes des Auberges du cœur, en collaboration avec l’équipe d’intervention théâtrale Mise au jeu. Ces saynètes illustraient le résultat d’une vaste consultation portant sur la santé mentale menée par trois regroupements québécois auprès de 160 jeunes, 150 personnes intervenantes et 50 organismes [1].

Les constats de cette consultation mettent en lumière la dure réalité que vivent les jeunes étiquetés d’un diagnostic en santé mentale. La pilule et ses dommages collatéraux sont omniprésents, au détriment de l’écoute.

Les jeunes ont déploré la longue liste d’attente pour les services psychosociaux (un an en CLSC) et le fait qu’ils sont parfois inadéquats, inexistants ou déficients (thérapie de groupe au lieu d’une thérapie individuelle telle que désirée par la personne, par exemple).

Il est clair que les difficultés d’obtenir des services gratuits de psychothérapie entrainent un système à deux vitesses. Il est grand temps que tous les jeunes, et l’ensemble de la population, aient accès gratuitement à des services d’aide et de soutien psychosociaux et alternatifs à la médication psychiatrique (environ 80% à 90% des patients reçoivent uniquement ce type de traitement [2]).

 

Cette demande s’inscrit dans la lignée des travaux du Commissaire à la santé et au bien-être (CSBE) qui, dans son rapport de 2012, recommandait de «diversifier le panier de services assurés en santé mentale en garantissant un accès équitable à des services de psychothérapie», tout en précisant que la psychothérapie s’avère efficace en plus de répondre aux besoins et préférences des usagers. L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux et le Collectif pour l’accès à la psychothérapie abondent aussi dans le même sens.

Nous pourrions crier haut et fort que notre Québec austère n’a pas les moyens d’une telle dépense, mais il s’agit d’une réaction indécente considérant que l’on parle ici de la santé mentale des adolescents! Qui plus est, les travaux du CSBE indiquaient que la psychothérapie constitue un investissement rentable à long terme. Le tout s’appuyait sur des études qui démontrent que la psychothérapie «peut à la fois être plus économique que la médication et réduire, voire éviter, l’utilisation ultérieure de services de santé [3]». Le Royaume-Uni et l’Australie sont donnés en exemple.

Mais l’urgence de passer en mode psychothérapie ne se justifie pas par un quelconque attrait économique, mais bien par l’augmentation importante du nombre de jeunes diagnostiqués pour un problème de santé mentale et consommant des psychotropes[4], ainsi que par les données sur le suicide.

Ainsi, il est primordial que l’accès aux services de psychothérapie ne soit pas conditionnel à un diagnostic en santé mentale, et ce, pour deux raisons.

Lors de la vaste consultation menée auprès des jeunes, ils avaient long à dire sur la question du diagnostic. La majorité des jeunes estiment que le diagnostic tombe trop rapidement, que le médicament est la seule solution proposée, sans qu’ils se sentent écoutés et respectés.

Ils dénonçaient également que le diagnostic soit nécessaire pour accéder aux services, car ce dernier a un effet stigmatisant, voire discriminant. Le diagnostic a aussi une portée sur l’identité de la personne, surtout pour les jeunes qui ont tendance à s’identifier à leur diagnostic: «Je suis un TDAH».

Mais plus encore, le recours à la psychothérapie sans diagnostic viendrait court-circuiter la tendance lourde à la médicalisation des difficultés vécues par les jeunes. La consultation a confirmé ce phénomène par lequel on appose un diagnostic sur leurs souffrances, les étapes normales de la vie et autres problèmes, comme la peine d’amour par exemple ou encore le fait d’être une jeune mère monoparentale. «Tsé, c’est pas parce que ton chum ou ta blonde t’a quitté que t’es dépressif. C’est comme si on n’avait pas le droit d’être triste», a rapporté une jeune comédienne au cours d’une saynète.

Les solutions identifiées par les organismes et les jeunes proposent de lutter contre cette médicalisation en intervenant de façon globale. Ils ne rejettent pas l’apport de la médication, mais estiment qu’elle prend trop de place. L’accès à la psychothérapie sans diagnostic demeure sans l’ombre d’un doute la voie à privilégier.

Et pour le mot de la fin, rapportons les paroles de Leslie, 19 ans, qui expliquent qu’on lui a prescrit beaucoup de pilules depuis l’âge de 12 ans, notamment pour contrôler ses tics et l’aider à dormir… «mais aucune pour m’aider à me comprendre».

Publication: 27/09/2016 23:22 EDT Mis à jour: 28/09/2016 15:16 EDT

Doris Provencher Directrice générale de l’AGIDD-SMQ

Références

[1] Une vaste consultation a été menée auprès d’une centaine de groupes communautaires en amont du Forum «Jeunes et santé mentale : pour un regard différent», organisé par le Regroupement des auberges du cœur du Québec (RACQ), l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ) ainsi que le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ).Tenue le 15 avril 2016, le Forum a confirmé et renforcé les constats de la consultation.
[2] CSBE, Rapport d’appréciation de la performance du système de santé et de services sociaux 2012 Pour plus d’équité et de résultats en santé mentale au Québec, page 103
[3] Ibid, page 105
[4] Plus de 5000 Québécois de 12 à 18 ans ont reçu une ordonnance d’antipsychotiques en 2015, contre près de 2800 en 2005, selon la RAMQ

 

Source: http://quebec.huffingtonpost.ca/doris-provencher/sante-mentale-des-ados_b_12123900.html

  

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