En réponse à la chronique de Patrick Lagacé
Les fous dangereux courent-ils les rues, menacent-ils le calme de nos chaumières ? À en lire les commentaires sur les réseaux sociaux, alimentés par la chronique de ce jour, on croirait que oui. Encore une fois, nous constatons que la série de Patrick Lagacé, L’hôpital psychiatrique à ciel ouvert, participe à accroître la stigmatisation à l’encontre des personnes vivant ou ayant vécu une difficulté en santé mentale, nuisant du même coup à régler le problème qu’il dénonce. Et paradoxalement, ces stigmas deviennent des moteurs de violences systémiques envers ces personnes, violences alimentées par la peur.
Dans cette nouvelle chronique, Patrick Lagacé souligne encore un parallèle entre santé mentale et violence. Sans nier le vécu des personnes citées dans ces chroniques, rappelons que, comme l’énonçait l’écrivaine Élise Turcotte dans les pages de la Presse en novembre 2020, «la très grande majorité des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale ne sont pas violentes, sinon contre elles-mêmes».
Si nous examinons l’ensemble des crimes violents, une très large part de ces crimes sont commis par des personnes ne faisant pas l’objet d’un suivi psychiatrique. Or, les représentations médiatiques amplifient le préjugé à l’effet que les personnes vivant avec un problème de santé mentale seraient dangereuses, et viennent amplifier du même coup la spirale de discrimination, d’exclusion et de violence institutionnelle et policière dont elles sont souvent la cible, menant à des interventions dramatiques pour les personnes en détresse.
Tout récemment, Le Devoir nous rappelait que 70 % des personnes abattues par les policiers au cours des 20 dernières années au Québec avaient un problème de santé mentale connu, avaient manifesté des idées suicidaires ou tenu des propos inquiétants avant l’événement.
Or, plusieurs études démontrent qu’en amont des diagnostics de schizophrénie, il y a, bien souvent, de nombreux traumatismes subis: pauvreté et précarité, violences familiales ou conjugales… ces états de stress peuvent générer des états-limites, des manifestations comme l’entente de voix… sans que ces symptômes ne prédisposent à la violence pour la vaste majorité des personnes ayant reçu un tel diagnostic.
Qui plus est, il faut se rappeler que ce sont d’abord des citoyens et citoyennes dont les droits n’ont pas été respectés ou protégés, et qui ont été privé·e·s de l’accompagnement nécessaire pour traverser ces traumatismes.
Or, que fait l’État québécois pour s’assurer que ces personnes aient tous les outils nécessaires pour traverser de tels traumatismes?
Et, faut-il le surligner, le rôle du milieu communautaire n’est pas de combler les lacunes des services publics. Or, les ressources communautaires nous interpellent de plus en plus du fait des listes d’attente qui s’allongent chez eux. Hein? Des listes d’attente dans le milieu communautaire? Malheureusement oui, faute de services publics accessibles dans un délai raisonnable. Maison Vivre, un organisme précieux de la Montérégie, qui couvre partiellement le territoire du ministre délégué à la santé mentale, nous a alarmé hier : des personnes les appellent, en larmes, et l’organisme n’est pas en mesure de répondre à leurs demandes avant des mois, faute de financement et de personnel suffisant pour leur offrir un accompagnement. La mission de Maison Vivre : redonner l’envie de vivre aux personnes aux prises notamment avec la dépression et la détresse!!
Une recherche menée en partenariat avec le collectif montréalais de défense des droits Action Autonomie démontre qu’à Montréal, on recourt de plus en plus aux mécanismes d’exception afin de traiter des citoyen.ne.s contre leur gré, soit une augmentation de 61% du recours aux autorisations judiciaires de soins et d’hébergement en l’espace de 9 ans (Bernheim, 2021). Ce recours accru aux mécanismes d’exception (d’exception parce qu’ils contournent la Charte des droits), loin de constituer une solution, nous démontre également qu’il est faux d’affirmer que « lorsqu’un patient refuse un traitement, c’est très, très dur de le « garder » à l’hôpital contre son gré…».
Et si nous avons réellement à cœur de sécuriser nos milieux de vie, enfermer des personnes contre leur gré dans des institutions – créant du même coup un terreau fertile aux traumatismes – serait-il vraiment le meilleur des moyens? Ne devrions-nous pas agir en amont plutôt que d’essayer de calfeutrer les failles qui s’élargissent de plus en plus? Ainsi, il est en effet vital, comme le signale d’ailleurs M. Lagacé, d’agir sur la crise du logement, contre la pauvreté, pour offrir des ressources pour les personnes aux prises avec des dépendances. Mais également – et surtout – il nous faudra nous donner de réels moyens pour aplatir la courbe de la détresse, soit en accompagnant mieux les personnes ayant vécu des traumatismes et en offrant des soins qui, plutôt que de (re)traumatiser les personnes, viendront les aider à vivre mieux et en paix.
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Par Anne-Marie Boucher, co-coordonnatrice du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ) ; Doris Provencher, directrice générale de l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ) ; Luc Chulak, directeur de Maison Vivre ; Dominic Dubois, agent de recherche et de rédaction (RRASMQ) et Jérémie Lamarche, étudiant en techniques de travail social et stagiaire au RRASMQ