14 décembre 2021 – Programme québécois pour les troubles mentaux (PQPTM)
Montréal, le 16 juillet 2021
À l’attention de Mme Anais Pelletier, et à l’équipe de la direction de la santé mentale,
Nous avons eu l’opportunité, mardi dernier, d’assister à une présentation du docteur Pierre Bleau concernant les grandes orientations du Programme québécois pour les troubles mentaux (PQPTM), accompagné de madame Anaïs Pelletier, conseillère politique de monsieur Lionel Carmant. Cette rencontre nous a été proposée suite à notre dernière rencontre avec monsieur Lionel Carmant à propos de la place prépondérante de la parole collective en santé mentale, et nous l’avons acceptée avec curiosité et souci de construire un partenariat visant à améliorer l’accompagnement en santé mentale. D’emblée, nous remercions le ministre de nous avoir ouvert cet espace de dialogue.
À l’occasion de cette rencontre, nous avons préparé de nombreuses questions qui se sont imposées à la suite de la lecture de la documentation sur le PQPTM accessible en ligne. L’heure impartie n’ayant pas permis d’étancher notre soif d’informations et de déposer constructivement certaines remarques, nous adressons ainsi quelques questions en votre direction, en espérant que cette contribution pourra éclairer nos lanternes.
D’entrée de jeu, nous saluons la volonté ferme du docteur Bleau de mettre les déterminants sociaux au coeur du prochain Plan d’action interministériel en santé mentale. Nous ne pouvons qu’espérer qu’une vision axée sur la salutogénèse et la santé communautaire plutôt que la médicalisation des difficultés traversées portera d’un souffle puissant les actions concertées des différents ministères.
Nous avons toutefois certaines questions quant au fonctionnement futur du PQPTM, et que notre analyse des documents n’a pas permis d’éclairer. Nous comprenons que le programme n’est pas encore officiellement mis en place, mais nous espérons mieux comprendre le fonctionnement du PQPTM et le rôle attendu du réseau de l’action communautaire autonome.
D’abord, nous nous questionnons quant au processus d’élaboration des balises de ce programme, n’ayant pas été informés de la nature de la participation des personnes premières concernées dans l’élaboration de ce programme censé répondre à leurs besoins en santé mentale. Nous aimerions connaître les démarches qui ont eu lieu en ce sens, en conformité avec les orientations du dernier Plan d’action en santé mentale Faire ensemble et autrement, le « ensemble » incluant la participation des personnes usagères à l’élaboration des mesures qui les concernent.
La question de la dangerosité
Nous avons retrouvé, dans la documentation entourant le PQPTM, quelques passages concernant la dangerosité des personnes et faisant état d’un changement de ton du ministère de la Santé et des Services sociaux quant à la manière de parler des personnes vivant ou ayant vécu un problème de santé mentale. Les statistiques évoquées quant à la dangerosité envers autrui, et les références en citation, nous ont scié les jambes : jamais de tels chiffres, renforçant la stigmatisation des personnes premières concernées par les enjeux de santé mentale, n’avaient été ainsi inscrits dans un document ministériel (p. 11 dans le doc. à l’intention des établissements et p. 16 dans doc. résumé des étapes 1 et 2), un précédent que nous dénonçons ici. En plus d’envoyer un message allant à l’encontre des données probantes, les affirmations avancées ne semblent pas trouver d’appui dans les références fournies (respectivement Kendrik 2012 et NICE 2010) dans vos documents. Rappelons d’ailleurs que le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux a lui-même affirmé en entrevue qu’il était primordial d’éviter de faire ce genre d’amalgame entre santé mentale et violence qui a comme effet de nourrir les appréhensions que subissent trop fréquemment ces personnes. C’est pourquoi nous déposons la demande formelle suivante : que ces passages erronés et tendancieux qui traitent de la dangerosité soient retirés de la documentation présente et future du ministère de la Santé et des Services sociaux.
Les institutions constituent le reflet notre société et nous croyons à cet effet que le Ministère a la responsabilité de donner l’exemple, tout en assurant bien sûr à la fois la sécurité du personnel et des personnes utilisatrices, en proposant les meilleures pratiques respectueuses des droits des personnes sans alimenter des perceptions qui assimileraient un danger aux personnes qui utilisent les services de santé mentale.
Rôle des organismes communautaires en santé mentale
La rencontre de mardi dernier a été organisée afin de nous informer sur le rôle attendu des organismes communautaires autonomes oeuvrant en santé mentale, notamment les ressources alternatives (groupes d’entraide, centres de crise, groupes de psychothérapie, hébergement, logement, etc.). Or, la rencontre ne nous a pas permis de comprendre si ou comment ces groupes seraient interpellés par le PQPTM. Alors que ces groupes ont montré, notamment au plus fort de la pandémie, leur capacité à innover et à soutenir au quotidien des milliers de personnes, nous attendons toujours de voir se construire un partenariat clair, d’égal à égal, et dans la reconnaissance de la mission, des particularités et des expertises de chacun. Les groupes communautaires en santé mentale ont besoin d’un signal clair en termes de reconnaissance de leur expertise et de soutien à leur action autonome. En d’autres mots, nous vous demandons : quel rôle est-il attendu de la part du réseau communautaire, ne sera-t-il par exemple sollicité que des achats de services à la pièce?
Processus d’accès au programme et liberté de choix
Nous avons été rassurés, lors de la rencontre, à l’effet que la personne recevrait les bons soins, dans la lignée du principe de primauté de la personne, soit le respect de ses besoins, de sa culture et de ses aspirations. Nous nous questionnons toutefois quant à la nature des choix qui seront proposés aux personnes :
Est-ce que les personnes qui refusent les choix de traitement proposés seront pénalisées, soit, par exemple, par un retour à zéro sur la liste d’attente?
Est-ce que l’accès à la psychothérapie sera possible pour toutes les personnes qui le souhaitent, quel que soit le diagnostic octroyé ou les symptômes ressentis, même sans passer par les auto-soins ou les rencontres de groupe?
Nous avons également des questions quant à la manière d’avoir accès, en lien avec les symptômes ou le diagnostic. Voici ces quelques questions :
Supposons si la situation d’une personne correspond aux symptômes d’un trouble mental fréquent, mais qu’elle ait derrière elle certaines difficultés plus lourdes qui ne sont pas compatibles avec le Programme, comment est-ce qu’on repère et combien de temps est-ce que la personne peut rester dans ce programme?
Qu’est-ce qui arrive aux personnes qui ne sont pas identifiées comme ayant un ‘trouble mental fréquent’. Ou à celles qui auraient un ‘trouble mental fréquent’ avec des comorbidités, par exemple un trouble mental fréquent combiné avec ce qu’on considère comme étant un trouble plus sévère?
En vous remerciant à l’avance de l’attention que vous porterez à cette lettre et du temps que vous prendrez pour répondre aux questions qui s’y trouvent, soyez assuré·e·s. de notre engagement et de notre souci de contribuer au développement des meilleurs politiques, programmes et pratiques en santé mentale.
Anne-Marie Boucher, co-coordonnatrice du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ)
Vincent Vallée, agent d’analyse et de mobilisation à l’Association des groupes d’intervention en défense de droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ)